Archéologie. Halte au pillage du patrimoine
Ce sont parfois des contrefaçons... mais «c'est surtout de plus en plus souvent le butin de fouilles et de trafics sauvages qu'on écoule», constate Jean-Jacques Grizeaud, archéologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives de Midi-Pyrénées qui, à l'instar de ses confrères, s'alarme aujourd'hui des dimensions prises par le phénomène partout dans le monde, fléau auquel notre région n'échappe pas. Grottes «visitées», sites gaulois ratissés comme tout ce qui peut avoir eu affaire à l'époque protohistorique, gallo-romaine ou au Moyen Âge... Enquêtant depuis des années sur le sujet, Jean-Jacques Grizeaud, victime d'un pillage en 2003, a donc organisé les 12 et 13 mars derniers à l'université de Toulouse le Mirail une table ronde pour dire «Halte au pillage !». Une première en France.
Car s'il existe des prospecteurs du dimanche qui partent à la «chasse au trésor» en toute innocence avec leur «poêle à frire» premier prix… grâce aux détecteurs de métaux de plus en plus perfectionnés disponibles aujourd'hui, une véritable «archéologie noire» s'est aussi professionnalisée en réseaux organisés. Laquelle prospecte et fouille clandestinement à la commande pour des collectionneurs, voire pour certains chercheurs…
Les chiffres du fléau ont ceux fournis par l'association Halte au pillage du patrimoine archéologique et historique (Happah), et sont accablants. Depuis la promulgation du décret du 19 août 1991, qui, pour protéger les collections publiques, interdit la prospection avec détecteur de métaux sans autorisation, 11, 250 millions d'objets ont été illégalement prélevés en France, plus de 144 000 depuis le début de l'année indique le compteur quotidien de l'association. Mais «ce chiffre est basé sur les estimations les plus basses», prévient l'Happah, s'alarmant de cette «irrémédiable perte du passé».
«Les détecteurs ne sont pas des pilleurs»
Marc de Kepper en a un plein seau. Des boulons, des bouts de fil de fer, des cuillères tordues, des lames improbables, des bouts de gamelles et des bouts de bidons…«En fait, nous, nous sommes des dépollueurs ! Les agriculteurs font appel à nous pour ôter les métaux qui traînent dans leurs champs. On peut aussi chercher des bijoux que des personnes ont égarés.»
Marc de Kepper est le représentant local de la Fédération européenne de prospection. Après une vie très active, cet homme qui adore la marche, la nature, la découverte, s'est trouvé une passion pour la détection.
«Oh bien sûr, il m'est arrivé de retrouver des pièces, des Napoléons, par exemple… Mais avec les produits que les agriculteurs mettent dans les champs, elles sont très abîmées.» Marc explique qui lui et les membres de sa fédération demandent toujours l'autorisation au propriétaire des lieux de passer leur «poêle à frire». Et quand on trouve quelque chose, on le donne au propriétaire. On garde juste une pièce en souvenir.»
Alors, évidemment, il comprend la grande colère des archéologues contre les pilleurs armés de poêles à frire. «Et je veux que ceux qui partagent le même loisir se défendent. Les pilleurs nous causent un tort considérable. On nous prend pour des voleurs, des bandits ! Alors que nous sommes juste des passionnés. Nous serions ravis de pouvoir, comme en Angleterre, coopérer avec les archéologues officiels. Si on repère quelque chose sur un terrain, on le signale et on continue de détecter tandis que les scientifiques fouillent… Mais j'ai plutôt l'impression que ceux-ci veulent que l'on interdise totalement toute activité de détection. C'est dommage : je vois très souvent que l'on construit des routes, des lotissements, des bâtiments, sans qu'on prenne la peine de sonder le sous-sol à la recherche de vestiges archéologiques. Nous, nous serions bénévoles et volontaires pour ce boulot-là.» Et puis Marc pointe l'autre face du problème.
«Il y a les acheteurs ! Si l'on interdisait la vente de ces objets sur e-Bay ou sur LeBonCoin, ce serait déjà une bonne chose. Car maintenant, il y a des pilleurs qui en font leur activité principale, ils en vivent et c'est inadmissible !»
Et Marc de rajouter avec un petit sourire : «D'ailleurs, sur ces sites, on vend parfois un peu n'importe quoi. On a vu proposer des fibules romaines qui étaient fabriquées dans les pays de l'Est ! Des copies produites en série, que des spécialistes de notre association ont repérées. Sans parler des pièces romaines ou gauloises qui ont été fabriquées en Chine !»
Les rêves de Rennes-le-Château
S'il est un village qui a subi depuis belle lurette les outrages des pilleurs et des illuminés, c'est bien Rennes-le-Château. Bien sûr, il plane sur cette petite commune de l'Aude le mystère de la fortune de l'abbé Saunière. La commune cache-t-elle un trésor ? C'est ce qu'ont cru quelques amateurs d'histoires, des occultistes passionnés et de vrais illuminés.«Désormais, la commune est plus calme, raconte son maire Alexandre Painco. Mais dans les années soixante 70, c'était une vraie folie. Certaines personnes ont acheté des ruines, des granges dans le village pour creuser des galeries qui aboutiraient sous l'église, à la recherche de ce fameux trésor ! Certains ont même employé la dynamite ! Je dis souvent en plaisantant : à Rennes-le-Château, on a tous les tunnels, il ne nous manque plus que le métro !»
Sans compter tous ceux qui baladaient leurs détecteurs de métaux sur les champs avoisinant ou qui creusaient après avoir interrogé un pendule, une conjonction astrale ou un doigt mouillé !
«Désormais, nous avons plutôt des visiteurs qui viennent rêver, explique le maire. 150 000 personnes chaque année passent à Rennes-le-Château.»
Alors, pas de fouilles pour Rennes ? Si ! «Nous allons entreprendre quelques recherches dans le cadre du «petit patrimoine». Il s'agit surtout de mieux connaître l'histoire de notre ville, ses origines. Certains disent que les Cathares ne sont pas venus ici, mais j'en doute… Et si, nous disposons d'éléments intéressants, alors, éventuellement, sous la houlette de la Direction régionale des affaires culturelles, nous réaliserons des fouilles à Rennes-le-Château. Mais des fouilles officielles !»
Les trésors cachés du Grand sud
Les hommes préhistoriques, les Gaulois, les Grecs, les Romains, les Wisigoths… Ah, elles en ont vu passer des visiteurs, les terres du Grand sud. Elles sont en quelque sorte un millefeuille où l'on peut lire les pages du passé à quelques centimètres sous terre.Ainsi, au bord de la Méditerranée, l'ancienne Septimanie a vu passer les Phocéens, les Grecs et les Romains y ont fait tracer la fameuse via Domitia, une sorte d'autoroute de l'époque. On y trouvait des sortes de stations services tous les dix kilomètres et là, défilaient tout à la fois les armées romaines qui manœuvraient vers l'Espagne et les marchands venus de toute l'Europe. Le long de ces chemins, dans les villas, les auberges, les haltes, ils ont perdu des bijoux, des fibules (agraphes pour les vêtements), de la petite monnaie, des poids, des outils, des armes… qui font le bonheur des pilleurs. Toute la région Midi-Pyrénées est, elle aussi, sous l'œil des pilleurs qui préparent leurs explorations dans les bibliothèques, les archives, les cadastres et désormais Google Earth. Ils savent très bien repérer les endroits où leur poêle à frire peut faire surgir des trésors engloutis par le temps.
Dans le Gers, on a vu des prospecteurs aux abords de la villa gallo romaine de Séviac, près de Condom, d'autres dans des champs près de Lectoure. Tout autour d'Agen, qui était un lieu de passage de la Garonne depuis la plus haute antiquité, on fouille, notamment à Sos, siège des Sotiates.. A Agen, la Maison du Sénéchal, qui appartenait aux Templiers fait rêver. En Tarn-et-Garonne, on croit savoir qu'une légion romaine s'était établie au bord de l'Aveyron, près d'Albias. Dans le sud de la Haute-Garonne, on connaît les villas de Montmaurin et de Lugdunum Convenarum près de Saint-Bertrand-de-Comminges. D.D.
«Notre passé archéologique est fortement menacé par cette catastrophe silencieuse»
Archéologue à l'Institut national de recherches et d'archéologie préventive, Jean-Jacques Grizeaud a organisé la première table ronde pour dire halte au pillage, les 12 et 13 mars dernier à Toulouse. InterviewQue représente le pillage archéologique aujourd'hui ?
Le pillage archéologique a toujours existé. Au temps de l'Égypte ancienne, il y avait déjà des pilleurs de tombes comme en Asie centrale dans l'Antiquité. Aujourd'hui, il existe plusieurs formes de pillage. Il y a celui qui est associé à une destruction, pour effacer une culture, comme au Mali récemment, avec les djihadistes. Et il y a le pillage des sites et des monuments, partout dans le monde à des fins de collection et de revenus. C'est-à-dire qu'il y a une demande mondiale, toutes époques confondues, pour des collectionneurs qui passent commande par internet, ainsi qu'on l'a vu lors du pillage du musée de Bagdad, lors de la deuxième guerre du Golfe. Et ce mouvement n'épargne pas la France, causant un véritable désastre culturel.
Quels sites sont menacés dans la région ?
Tous, sans exception. Et en règle générale, les pilleurs agissent presque toujours avec des détecteurs de métaux. Le problème n'est pas nouveau, mais il explose ces dernières années sur fond de crise et sous une pression du lobby des marchands de détecteurs, en Europe, qui camoufle cette pratique derrière le «loisir».
Qui sont ces pilleurs ?
Il y a les pilleurs professionnels qui écument les bibliothèques. Ils ont toujours un chercheur ou un archéologue comme contact pour les renseigner et ils disposent de documentation professionnelle, pour préparer leurs prospections, ce qui pose le problème des dérives pouvant survenir lorsqu'il y a collaboration entre chercheurs et prospecteurs et provoque du coup une certaine gêne autour du dossier. Et puis il y a les autres, qui, effectivement, le font en dilettante mais ne font pas moins de dégâts et pas forcément sur des sites connus. Dans les deux cas, la loi de 1989 limitant l'usage des détecteurs de métaux est extrêmement claire, en France. «L'autorisation d'utiliser du matériel permettant la détection d'objets métalliques est accordée, sur demande de l'intéressé, par arrêté du préfet de la région dans laquelle est situé le terrain à prospecter. La demande d'autorisation précise l'identité, les compétences et l'expérience de son auteur ainsi que la localisation, l'objectif scientifique et la durée des prospections à entreprendre».
Or aucune déclaration n'est jamais faite et en France il y a au moins 10 000 utilisateurs actifs de détecteurs. Certes, les vendeurs disent tous qu'ils sont contre le pillage et qu'ils rappellent à tout utilisateur les règles. Mais pour les contourner, on a inventé la notion de «loisir», de «chasse au trésor», voire d'associations de «dépollution».
Que préconisez-vous ?
Contre ces réseaux, cette véritable «archéologie noire», il faut rappeler que l'archéologie est un métier, avec des méthodes strictes de recherches et qu'en détruisant des sites en cours de fouille ou potentiels, ces gens privent la Franceet les générations futures du droit et du devoir de connaître leur patrimoine et leur passé. Aujourd'hui, il faut commencer par appliquer la loi, tout en s'interrogeant sur sa pertinence et comment mieux la faire respecter, mais il faut aussi mieux protéger et surveiller les chantiers, notamment avec le DAP (Dispositif anti pillage). Et il faut interdire la vente en ligne de tels objets ce qui limiterait vraiment le marché. Propos recueillis par Pierre Challier
http://www.ladepeche.fr
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